Le modèle des 9 limites planétaires (planetary boundaries) est publié en 2009, dans les revues Nature et Ecology and Society. Il a été établi par une équipe internationale de 26 chercheurs, menés par Johan Rockström du Stockholm Resilience Centre et Will Steffen de l'Université Nationale Australienne.
Ce modèle identifie 9 seuils que nous ne devons pas franchir si nous souhaitons continuer à nous développer dans des conditions favorables. C’est-à-dire, en évitant les modifications brutales, non-linéaires, difficilement prévisibles, et potentiellement catastrophiques de l’environnement comme le furent en 2021, la tempête de neige Filomena à Madrid ou encore le dôme de chaleur suivi d'incendies en Colombie Britannique, au Canada.
Ce nouveau modèle de mesure de l’empreinte écologique des hommes servira par la suite à caractériser l’anthropocène* ou encore l’économie du Donut.
Dans cette série d’article nous aborderons une à une chaque limite, nous expliquerons ses enjeux et proposerons des solutions à travers l'investissement. La 4ème de ces limites est la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore.
Les cycles de l’azote et du phosphore sur la place publique
Contrairement au réchauffement climatique ou la destruction de la couche d’ozone, la perturbation des cycles géochimiques de l’azote et du phosphore est un phénomène totalement inconnu pour le grand public même si les conséquences de ces modifications ont fait plusieurs fois la une des informations en France (cf. cet article du journal Le Monde)
En effet, l’azote et le phosphore jouent des rôles essentiels dans le fonctionnement des écosystèmes terrestres et marins et leur cycles géochimiques sont considérés comme des enjeux prioritaires par les scientifiques.
Découvrons alors de quoi il s’agit et la raison de l'engouement des scientifiques ?
Les cycles biogéochimiques
Au même titre que le carbone, l’azote et le phosphore sont des éléments essentiels à la vie et largement présents dans l’environnement de manière naturelle. Étant très réactifs ces éléments vont tour à tour se propager au sein des plantes, des sols, des animaux, de l’atmosphère, des océans et autres étendues d’eau. C’est cela que l'on appelle cycles biogéochimiques :
Les cycles biogéochimiques sont des équilibres trouvés dans la nature qui permettent des échanges d’azote et de phosphore entre les différents écosystèmes (air, terre, rivières, océans etc…. ).
On peut ici observer une simplification du cycle biogéochimique de l’azote, qui permet la fertilisation des sols lorsqu’il est sous forme de nitrates. Il sera ensuite absorbé par les plantes, mangé par les animaux, avant de retourner à la terre.
La perturbation de ces cycles
Comme expliqué précédemment, l'azote et le phosphore sont des nutriments indispensables à la croissance des végétaux. L’azote est nécessaire pour créer des protéines essentielles, et le phosphore permet la photosynthèse. Cependant, lorsqu’ils sont émis en abondance dans l’environnement, ils peuvent constituer un surplus par rapport aux besoins des organismes végétaux et perturbent donc les cycles évoqués.
Lorsqu’ils sont en surplus ils sont généralement évacués par le ruissellement de l’eau dans les lacs, les rivières et les océans. L’azote contribue notamment à la pollution de l’eau à travers le déversement de nitrates.
Cette pollution, ou modification du cycle biogéochimique est principalement causée par l’agriculture :
- Pour l’azote par les engrais azotés mais également par la combustion de ressources fossiles et les procédés industriels.
- Pour le phosphore par les fertilisants et les effluents d’élevage mais également par les eaux usées urbaines, les excréments et les détergents.
Cela cause le processus d’eutrophisation, c'est-à-dire l’accumulation de nutriments dans un milieu, principalement, les lacs, étangs et océans. Cette accumulation favorise la prolifération des organismes végétaux tels que les algues ou le phytoplancton.
Ce phénomène est non seulement responsable de la couleur verdâtre des étangs mais aussi de la prolifération des algues sur le littoral français. On distingue les macroalgues - qui produisent des marées vertes principalement sur le littoral breton et qui s’étendent entre le Centre-Atlantique et la Basse-Normandie - des algues microscopiques qui sont responsables de la coloration de l’eau et potentiellement toxiques pour les organismes marins.
Sur la période 2007-2012, le nombre d’événements de croissance excessive d’algues marines est resté globalement stable, alors que la prolifération de toxines a légèrement augmenté. Ces toxines sont dangereuses pour les animaux et les hommes (cf. cet article du journal Le Monde) et ont donc des impacts économiques et sanitaires.
Les limites
Les préjudices causés par l’azote et le phosphore sont considérés comme locaux plutôt que globaux. Cependant, un seuil a été défini dans le cadre des travaux sur les limites planétaires.
Concernant l’azote, l’enjeu est d’éviter l'eutrophisation des milieux. Ainsi, le seuil à ne pas dépasser a été fixé entre 62 et 82 millions de tonnes (Mt) par an, soit 41 à 55 kg d’azote excédentaire (surplus) par hectare par an (kg/ha/an) en moyenne à l’échelle mondiale.
En 2015, les pertes d’azote dans l’environnement sont estimées à 150 Mt.
Concernant le phosphore, l’enjeu est d’éviter que ne se produise un événement anoxique océanique majeur (épisode de forte réduction d’oxygène dans les océans) pouvant avoir un impact dévastateur sur la biosphère marine et terrestre par la suite.
Au niveau mondial une limite a été définie pour prévenir ce phénomène. Le seuil de phosphore rejeté dans l’eau (excédent agricole et eaux usées insuffisamment épurées ) est estimé à 11 Mt par an .
En 2015, il est dépassé avec 22 Mt de phosphore effectivement rejetées dans les eaux.
Au niveau local, un seuil supplémentaire est défini pour éviter l’eutrophisation des systèmes d’eau douce et porte sur les surplus de phosphore résultant d’apports excessifs lors de la fertilisation des sols agricoles. Ils doivent être inférieurs à une fourchette comprise entre 6,2 et 11,2 Mt (soit 4,1 à 7,5 kg/ha/an).
En 2015, la limite est franchie avec environ 14 Mt.
L’azote, un gaz à effet de serre
Les émissions polluantes de composés azotés (oxyde d’azote (NOx), protoxyde d’azote (N2O) et dioxyde d’azote (NO2)) dans l’atmosphère provenant du transport et de l’industrie ne sont pas prises en compte dans la limite planétaire. Cependant, selon le dernier rapport du GIEC, les oxydes d’azote sont considérés comme des aérosols et le protoxyde d’azote et dioxyde d’azote comme des gaz à effet de serre.
Entre 1750 (considéré comme le début de l’ère industrielle) et 2019, la concentration de N2O dans l'atmosphère a augmenté de 23%. Nous savons que les concentrations atmosphériques actuelles sont plus élevées que durant tout ce qui s'est passé ces 2 derniers millions d’années.
Le dioxyde d'azote a également d’autres impacts sur le climat, comme la dégradation de la végétation terrestre, en nécrosant les feuilles - ce qui a un impact sur le rendement agricole, et le cycle du carbone (dégradation de la capacité à stocker le carbone).
Enfin les synergies entre la pollution des milieux terrestres et océaniques avec celle de l’atmosphère sont encore en des domaines en cours d’études.
Les solutions
Des solutions existent pour contribuer à renverser cette limite. Par exemple, l'État met en œuvre un plan de lutte contre la prolifération des algues vertes sur les huit baies touchées. Un deuxième plan a été signé pour la période 2017-2021. Lorsqu’il s’agit d’investissement des solutions existent également. L’une des causes principales de la perturbation des cycles de l’azote et du phosphore est l’agriculture conventionnelle et l’utilisation de produits chimiques. Favoriser d’autres types de culture permet d’apporter sa pierre à l’édifice. On mettra en évidence la plateforme de financement participatif au service de l'agriculture et de l'alimentation durables, Miimosa. La startup BioDemain accompagne les agriculteurs pour la certification Bio, leur permettant une rémunération juste pendant la période de transition.
Avec cet article, nous avons abordé la perturbation des cycles biogéochimiques de l’azote et du phosphore, et nous avons expliqué leur fonctionnement global, leur cause, les activités humaines et ses conséquences imprévisibles et potentiellement dévastatrices. Cet article fait partie de la série “Les limites planétaires” qui explore les 9 seuils que nous ne devons pas franchir si nous souhaitons continuer à nous développer dans des conditions favorables. La semaine prochaine nous aborderons la consommation d’eau douce. Vous pouvez retrouver les autres articles de cette série ici.
Si vous souhaitez en savoir plus pour contribuer à cette limite planétaire par l'investissement, prenez contact avec l'équipe Kimpa :
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* Anthropocène : Une nouvelle époque géologique qui se caractérise par l’avènement des hommes comme principale force de changement sur Terre, surpassant les forces géophysiques.
** Economie du donut : Ce modèle économique combine le concept de limite planétaire avec celui de frontières sociales. Il propose de considérer la performance d'une économie par la mesure dans laquelle les besoins des gens sont satisfaits (plafond social) sans dépasser le plafond écologique de la Terre.
Quelques sources et piste pour approfondire le sujet :
- Mettre son capital au service de l'amélioration climatique de Kimpa.
- Le site du GIEC pour accéder au dernier rapport, ici.
- Le compte Twitter de Pour un réveil écologique avec un résumé des 12 chapitres du rapport du GIEC, ici.
- Article de Le monde sur les alques vertes, ici.
- Le site du gouvernement, sur les cycles bigéochimiques de l'azote et du phosphore, ici.