Le rétrofit électrique (e-retrofit) des véhicules consiste à transformer un véhicule thermique en un véhicule électrique. Concrètement cela implique de remplacer le moteur à combustion interne et le réservoir de carburant d'un véhicule usagé par un moteur électrique et une batterie (ou une pile à combustible et un réservoir d'hydrogène). Le processus s'applique aux véhicules citadins ainsi qu'aux utilitaires, bus, camions, véhicules spécialisés, motos, etc. de plus de 5 ans.
À l’heure où, en France, 450 millions de tonnes de CO2e sont émises annuellement, dont 120 millions sont imputables aux transports, et plus particulièrement au transport routier (95%, 1/5e des émissions de l’UE), les alternatives aux véhicules thermiques sont devenues indispensables pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris, autrement dit, limiter le réchauffement climatique à 1,5°C. D’autant plus, qu’à partir de 2035, au niveau Européen, plus aucun véhicule thermique neuf ne sera autorisée à l’achat / vente.
Dans ce contexte, le secteur des transports évolue et s’adapte à ces enjeux économiques et environnementaux. Les véhicules électriques se démocratisent : ils représentaient 13 % des ventes de voitures en 2022 en France, une part en hausse chaque année. Selon diverses études (GIEC, Drawdown Project, Ademe), si leur part dans la flotte automobile totale atteignait 21-33%, cela permettrait d’éviter, d'ici à 2050, 7,7 à 9,8 Gt de gaz à effet de serre CO2e, ainsi que 11,6 à 15,5 Tn de dollars de coûts de carburant, particulièrement dans les pays où le mix électrique est peu carboné. Pour rappel, le scénario à +1,5°C du GIEC préconise une réduction annuelle de 5 à 10 Gt CO2e d’ici 2050.
D’autres alternatives émergent également en France et en Europe, et une en particulier : le rétrofit électrique. En France, sa pratique a réellement démarré depuis l’arrêté du 13 mars 2020, autorisant l’homologation en série de véhicules rétrofités afin de faciliter la procédure administrative tout en garantissant un niveau de sécurité conforme aux exigences de la sécurité routière. Cet article a pour but d’expliquer synthétiquement ce qu’est le rétrofit électrique, son utilité, son rôle à jouer face au changement climatique ainsi que les challenges qui y sont liés.
Qu'est-ce que le rétrofit électrique ?
Le rétrofit électrique (e-retrofit) des véhicules consiste à transformer un véhicule thermique en un véhicule électrique. Concrètement cela implique de remplacer le moteur à combustion interne et le réservoir de carburant d'un véhicule usagé par un moteur électrique et une batterie (ou une pile à combustible et un réservoir d'hydrogène). Le processus s'applique aux véhicules citadins ainsi qu'aux utilitaires, bus, camions, véhicules spécialisés, motos, etc. de plus de 5 ans.
Deux types de e-rétrofit existent :
- E-rétrofit léger : remplacement des pièces nécessaires sans altérer la structure, le poids, la puissance, les caractéristiques ou bien l’apparence du véhicule. Toute la partie électronique (chauffage, air conditionné, direction assistée) est également ajustée et liée à la batterie. Ce type de rétrofit est le plus commun, sécurisé et scalable. Nous nous concentrerons sur ce dernier.
- E-rétrofit lourd : remplacement de toute la structure de base, autrement dit des suspensions, freins, transmission, etc. Néanmoins, ce type de e-retrofit risque d’altérer le poids et la puissance du véhicule. Zero Labs est une des entreprises spécialisée dans ce type de retrofit.
Aujourd'hui, l'offre de solutions d'e-rétrofit pour les voitures particulières est presque entièrement axée sur les voitures anciennes et les conversions individuelles. L'e-rétrofit de série est principalement disponible en précommande en France, la plupart des fabricants attendant les approbations réglementaires pour leur premier modèle (approbation donnée par l’UTAC).
Marché cible
Comme les véhicules électriques, les acteurs du e-rétrofit ciblent tant les particuliers, que les entreprises et les municipalités. Retenons que d’ici 2035, un parc de c. 240 millions de véhicules thermiques, ayant une valeur résiduelle d'environ 2 milliards d'euros, sera toujours en circulation et des donneurs potentiels au rétrofit.
- Côté particuliers, sont visés :
- les individus ayant des des exigences de performance limitées en termes d'autonomie, de vitesse maximale et de disponibilité des caractéristiques de confort les plus récentes ;
- ne voulant/pouvant pas investir la somme nécessaire à l'achat d'un véhicule électrique neuf ou d'occasion ;
- et/ou souhaitant conserver leur chassis actuel parce qu'il est personnalisé, coûteux, impossible à remplacer (voiture de collection). Les cas d'utilisation typiques sont de courts trajets locaux (par exemple, aller chercher un enfant à l'école, faire des courses, etc.) ou des trajets domicile-travail, et le point de recharge est à la maison.
- Côté entreprises et municipalités, leurs flottes sont susceptibles d'être soumises à une pression croissante en faveur de la décarbonisation. Depuis la loi LOM (Loi d’Orientation des Mobilités, 2019), le cadre réglementaire recommande d'adopter une approche progressive pour atteindre +70 % de véhicules électriques dans l'achat de nouveaux véhicules d'ici à 2030.
Aujourd'hui, en France, la demande la plus tangible d'e-rétrofit est réalisée sous la forme d'appels d'offres, émane des municipalités et concerne les bus et les fourgonnettes. En effet, le e-rétrofit est particulièrement pertinent et avantageux d’un point de vue réglementaire, environnemental et financier pour les véhicules étant coûteux en raison de l'équipement technique et de l'adaptation (par exemple, une grue, un camion frigorifique), et qui ont une longue durée de vie.
Coût du e-rétrofit
Aujourd'hui, le coût de l'opération d'e-rétrofit pour une petite voiture (e.g. Renault Twingo) commence à 16 000 euros (TVA incluse, subventions et valeur de revente de la voiture rétrofitée exclues). Il faut compter c. 280 000 euros pour un autobus. Selon les études réalisées, ces coûts devraient varier entre 7 500 et 9 700 euros d'ici 2040 pour les véhicules citadins et 190 000 euros pour un autobus.
Avec des subventions élevées et l'effondrement de la valeur de revente des vieilles voitures diesel (jusqu'à -80 %), le prix de détail net pourrait descendre en dessous des 5 000 €, ce qui le rendrait très abordable. Sans des subventions importantes, le prix net atteint 12 000 euros, ce qui ne ferait pas du e-retrofit une solution compétitive par rapport aux véhicules électriques d'occasion. À date, en France, ces subventions varient selon le type de véhicule entre 9 000 euros pour un véhicule citadin à 90 000 euros pour un autobus.
La majorité des coûts aujourd’hui (c. 50%) sont dûs au kit de conversion (batterie et moteur). Ainsi, le e-rétrofit devrait devenir plus compétitif par rapport aux véhicules diesel dans la décennie à venir, le prix des batteries sur le marché devant chuter fortement. Le coût total du e-rétrofit est donc élevé aujourd’hui, notamment en comparaison avec les véhicules électriques d’occasion, mais est à contrebalancer avec la hausse des prix des carburants, des taxes et contraintes réglementaires. Le coût total de possession des voitures fossiles ne fera que croitre dans les années à venir, et pourrait entrainer 20 millions de ménages supplémentaires dans l’incapacité financière d’acheter une voiture (12,5 millions d’européens sont déjà concerné
Quels sont les pré-requis du rétrofit (Europe, focus France) ?
Le pré-requis majeur au déploiement du rétrofit en France et au niveau européen est l’assouplissement de la réglementation, et plus particulièrement des conditions d’homologations.
Puisque le rétrofit implique une modification, plus ou moins importante, du poids, de la puissance et de la taille du véhicule, il est nécessaire de les tester avant commercialisation, afin d’en garantir la sécurité et conformité aux normes, notamment environnementales. C’est pour cette raison que l’UTAC a été désignée comme entité européenne en charge des homologations de ces véhicules. Lorsque l’homologation est délivrée par une autorité nationale, elle est acceptée dans tous les États membres.
Un cadre réglementaire strict s'applique ainsi à l'homologation des nouveaux modèles, systèmes et composants de véhicules. Dans le cadre du processus standard, une douzaine de prototypes ou plus doivent être soumis à des essais de collision, ce qui coûte des millions d'euros pour chaque homologation. Le règlement de l'UE permet donc aux États membres d'appliquer des procédures simplifiées pour les petites séries et les véhicules individuels. C’est dans ce contexte que la France autorise depuis 2020 l'homologation par série.
La loi crée deux catégories d’e-rétrofit :
- Des fabricants : conçoivent le système et le processus, obtiennent l'approbation d'un prototype, puis produisent le "kit" et établissent les spécifications du processus de conversion. La plupart des acteurs connus du e-rétrofit sont des fabricants, tels que REV Mobilities, Transition-One, Lormauto, TOLV etc.
- Les fabricants approuvent et contrôlent une série d’installateurs locaux accrédités (généralement des ateliers de réparation) et fournit la garantie du fabricant.
À titre d’exemple, REV Mobilities a signé un partenariat avec l’installateur Autobacs.
Dans la lignée de l’homologation en série, la France est le seul pays de l’UE à avoir rendu obligatoire les batteries R100-2 pour les véhicules rétrofités. Contrairement à la R100-1, qui ne prévoit que des essais de sécurité de base de la batterie, la version 2 exige une série d'essais de collision (incendie, impact, etc.), ce qui augmente considérablement le coût des tests. Néanmoins, à l’heure où la sécurité est la principale préoccupation des régulateurs, cette norme représente un avantage conséquent pour les acteurs du rétrofit français.
Quel rôle le rétrofit a-t-il à jouer face au réchauffement climatique ?
Impact environnemental
Comme mentionné ci-dessus, le transport routier représente plus d’un cinquième des émissions annuelles de CO2e de l’Union Européenne. Or, d’après de nombreuses études (Ademe, Electrify & T&E, Carbon 4), le rétrofit électrique permettrait d’émettre c. 70% moins de CO2 comparé à un véhicule thermique (66% pour une citadine soit 2 tonnes au lieu de 6, 87% pour un autobus, soit 47 tonnes au lieu de 363) et 40% de moins par rapport à un véhicule électrique. La voiture électrique est en effet plus émettrice de gaz à effet de serre sur la phase de production du véhicule, notamment de la batterie.
Le e-rétrofit représente donc une solution plus qu’intéressante si nous souhaitons rester alignés avec le scénario de 1,5°C.
D’un point de vue réglementaire, les solutions de e-rétrofit permettront aux entreprises et particuliers de respecter les Zone à Faible Émissions (ZFE), déjà mises en place dans 4 villes européennes depuis 2023, dont Paris, où +2 millions de véhicules et environ 6 millions de trajets quotidiens seront concernés par cette interdiction d’ici 2030 (Loi d’Orientation des Mobilités de 2019 qui fixe la neutralité carbone des transports terrestres à compter de 2050**.**). Pour rappel, les ZFE sont des zones urbaines où les véhicules à moteur à combustion interne ne sont pas autorisés à circuler car trop polluants.
Enfin, rétrofiter les véhicules thermiques existants éviterait leur exportation vers d’autres pays (notamment émergents) et donc l’apparition d’un écart conséquent entre la demande et l’offre de véhicules ainsi l’augmentation de l’empreinte carbone exportée de la France (c. 2.5Gt d’émissions de CO2).
Par ailleurs, contrairement aux idées reçues, le rétrofit électrique ne doit pas être mis en concurrence avec le déploiement des véhicules électriques. Bien au contraire, ils sont complémentaires et doivent évoluer dans le même sens.
Si les voitures thermiques ne sont plus rentables (en raison du prix des carburants et des taxes) ou interdites (pour des raisons environnementales) d’ici 2035, le stock de véhicules électriques d'occasion (> 15 ans) ne sera pas suffisant pour soutenir le flux de voitures nécessaire pour répondre à la demande annuelle de voitures d'occasion "très abordables" (prix inférieur à 5 000 €). En supposant que l’interdiction prévue par l’UE est bien mise en œuvre en 2035, près de 90 millions de véhicules électriques circuleront sur les routes, mais les voitures fossiles continueront de dominer, avec un parc d'environ 240 millions de véhicules ayant une valeur résiduelle d'environ 2 milliards d'euros.
Sans intervention politique, sur la base des prévisions de ventes actuelles il faudrait encore 30 ans pour que le parc automobile fossile soit complètement éliminé et émette 2,5 Gt de CO2 au-delà du budget carbone de 1,5°C. Il serait donc nécessaire de rétrofiter c. 210 millions de véhicules thermiques pour s’aligner sur cette trajectoire, en parallèle de la mise en place d’une interdiction totale des véhicules non électriques (à l’achat et à l’utilisation). Cela permettrait d’éviter 0,5 Gt de CO2 d’ici 2050.
Ils sont d’autant plus complémentaires que certains particuliers n’auront pas les capacités financières pour acheter un véhicule électrique lorsque les véhicules thermiques seront définitivement interdits.
Impact social
95 millions d'Européens (21%) étaient menacés de pauvreté en 2021, dont 57 millions (13%) dans les zones rurales et suburbaines, où la possession d'une voiture est souvent une nécessité pour la mobilité personnelle (Eurostat 2021). 11 millions de ménages européens (5,7%) n'ont pas les moyens de s'offrir une voiture personnelle. En France, 20% de la population est "vulnérable", dont 14% ont du mal à payer le carburant et 7% ont un accès limité aux transports. 28 % des chômeurs ont été empêchés d'accepter un emploi en raison d'obstacles liés au transport.
Le passage aux véhicules électriques réduit l'exposition des conducteurs à faibles revenus à d'éventuelles augmentations des taxes sur les carburants et les routes. D'un autre côté, ces véhicules sont toujours beaucoup plus chers à l'achat (+33% à +55%) et ceux d'occasion devraient rester moins abordables que les voitures fossiles d'occasion actuelles, en raison de leur prix d'origine plus élevé, ainsi que d'un coût de dépréciation plus élevé.
Démocratiser le rétrofit électrique permettrait de démocratiser davantage le marché de l’électrique en le rendant accessible aux détenteurs d’un véhicule thermique et en incitant les gouvernements à augmenter les subventions et à relocaliser la production (Verkor est un exemple). Même si son coût est élevé, le e-rétrofit devrait donc favoriser des économies d’échelles sur la production des batteries, et ainsi devenir plus abordable à moyen terme.
De plus, là où l’apparition des véhicules électriques a détruit les emplois de maintenance et activité connexes (-30%, production plus simple, moins de pièces, moins d'entretien), le e-rétrofit les met à profit et dynamise le territoire. Effectivement, les fabricants prévoient de former et de certifier les ateliers de réparation automobile pour qu'ils puissent installer les kits de rétrofit (compétences proches). Ces ateliers de réparation bénéficient d'une présence locale dans chaque ville, de l'infrastructure de base requise et de la relation avec les clients nécessaire à une mise à l'échelle rapide. Ainsi, plus de 140 000 emplois pourraient être créés entre 2037 et 2050 sur ce secteur.
Comment investir dans le rétrofit aujourd'hui ?
Selon les diverses études, dans un scénario à 1,5°C, le montant total du financement public européen destiné au rétrofit électrique nécessaire serait de 350 milliards d'euros en 2035 (prise en charge du coût de la voiture donatrice et de l’opération de rétrofit), soit l’équivalent de 85 % des ventes actuelles de voitures d'occasion (2020). Or, il est plus que probable que les financements publics soient en-dessous de ce niveau. Dans ce contexte, il devient nécessaire de diriger une partie des capitaux privés vers ce type d’alternatives, dont le e-rétrofit.
À date, il est déjà possible de soutenir différentes verticales, listées à titre d’exemple ci-dessous (non-exhaustif) :
- Rétrofiteurs (fabricants) spécialisés sur un seul constructeur comme TOLV sur Renault ou bien Lormauto sur la Twingo, Qinomic et son partenariat avec Stellantis, etc. ;
- Rétrofiteurs (fabricants) spécialisés par type de véhicule : les voitures vintage (R-Fit avec la Mehari, Retrofuture), les autobus et poids lourds (Kleanbus, Volta, Zeem Solutions, Neo Trucks, Pepper Motion etc.) ;
- Rétrofiteurs (fabricants) avec un modèle d’intégrateur comme REV Mobilities, présent sur tout type de véhicule, de modèle et de constructeur et qui a su nouer des partenariats stratégiques sur toute la chaine de valeur (notamment avec Autobacs, réseau d’installateurs).
Les décideurs politiques sont confrontés à un choix difficile : laisser les vieilles voitures à carburant fossile sur la route jusqu'à la fin de leur durée de vie naturelle et dépasser le budget carbone de 1,5 °C, ou bien imposer un retrait anticipé des voitures thermiques pour atteindre les objectifs climatiques, ce qui pourrait entraîner une pénurie de voitures électriques d'occasion à un prix abordable.
L'e-retrofit peut donc jouer un rôle essentiel pour combler le fossé entre ces deux scénarios, mais il doit devenir plus abordable et les consommateurs doivent se familiariser avec les véhicules électriques à faible autonomie. Des subventions spécifiques sont nécessaires pour le rendre plus compétitif en termes de coûts, et les contraintes réglementaires doivent être assouplies. D’autant plus que +50% des Européens seraient prêts à rétrofiter leur véhicule ainsi que pour interdire les véhicules thermiques en 2035.
Il ne reste qu'une petite fenêtre d'opportunité pour déployer l'e-retrofit à grande échelle avant que le budget carbone de 1,5°C ne soit épuisé. L'action politique doit commencer d'ici à 2028.